Pourquoi engager le conflit ?
Je vis dans un groupe de chiens depuis une dizaine d’années. Au départ, naïvement, j’étais convaincu qu’il fallait d’abord comprendre la hiérarchie du groupe, comprendre comment s’articulaient les relations entre les chiens, selon quel schéma. Qui est le chef ? Quelle est la femelle dominante ? Qui est l’Omega ? A quel moment et pourquoi ce schéma peut-il être modifié ?
Rapidement, j’ai trouvé le chef, le sous-chef, la femelle alpha… Comme au magasin de bricolage, le chef est celui qui a le plus de stylos, de un, deux, trois, etc, jusqu’au chef suprême qui lui, a la fierté de porter le fameux stylo quatre couleurs !
Et puis en vivant avec eux, j’ai commencé à constater des bizarreries, qui ne collaient pas vraiment avec les préceptes fumeux de nos pros-hiérarchie. Le présumé Alpha se couche à des endroits curieux, il ne prend pas la place la plus haute, au contraire, il a plutôt tendance à se planquer pour dormir. La femelle Alpha se fait piquer ses jouets et sa gamelle par d’autres femelles adultes, et elle ne dit rien. L’Omega a remis à sa place deux fois le dominant aujourd’hui, qui est parti la queue entre les jambes.
Alors on cherche, on réfléchit, on essaie de trouver un autre « chef » et puis on finit par émettre une nouvelle hypothèse : Cette conception d’un groupe de chien n’est-elle pas complètement fantasmée ?
A partir de là, j’ai occulté cette notion de hiérarchie linéaire figée dans tout ce que je faisais, puis j’ai commencé à recenser, comme je l’avais déjà vu faire, les jeux, les agressions, et les manifestations évidentes d’évitement des conflits, en notant les circonstances.
Le bilan est lourd de conséquences et correspond évidemment à toutes les études récentes : Aucun chien ne contrôle toutes les situations, ou toutes les ressources. En revanche, dans une immense majorité, les chiens cherchent à éviter les conflits. Les chiens adultes avec lesquels les conflits apparaissent ont très souvent ou de grosses lacunes en communication, ou un manque de respect manifeste, des phases de repos, des “ressources” acquises par les autres…
Certains se démarquent dans certaines activités, le jeu, la surveillance du territoire, la protection de certaines ressources, alimentaires en particulier. Chacun semble bien avoir une place, non pas par un quelconque rang social, mais tout simplement par goût et compétence. Chacun fait ce qu’il a envie de faire, non pas parce que son rang social l’y autorise, mais parce qu’il en a envie, ou parce que c’est lui qui maîtrise le mieux le sujet, ou lui qui y met le plus de volonté.
Certains sont un peu plus grognons, supporte moins bien l’agitation ou le contact ? Dominants ?, Chef ? Non, un seuil de tolérance plus bas, c’est le cas de notre Rozo sur la photo. Manifestation d’agressivité ? Que se passe-t-il après la photo de lui face à Vanessa ? Morsure ? Evidemment non, au contraire, conditionné à manifester ce genre de réactions, il commence quoi qu’il arrive par là, les marques d’affection viennent après. Avec Vanessa uniquement, n’essayez pas chez vous, enfin, personnellement, je ne m’y risque pas avec lui, même si notre relation est tout ce qu’il y a de plus cordiale et agréable.
Tout ça, vous viendrez le constater par vous-même, si le cœur vous en dit, à l’occasion d’une journée « Communication / compréhension », en immersion dans le groupe de chiens.
Lorsqu’on a compris et admis cette notion, ce modèle collaboratif, il devient inepte d’engager soi-même le conflit. Pourquoi mettre une laisse à un chien très craintif ? Pourquoi provoquer un chien agressif ?
Montrer et collaborer, faire les choses ensemble, dans la même direction, plutôt que de faire contre l’individu qui pose problème. Je ne vais pas forcer le contact avec un chien qui ne l’accepte pas par peur, je vais prendre le temps de lui montrer qu’il peut en tirer un certain plaisir et qu’il peut laisser ses craintes de côté. Je ne vais pas forcer le contact avec un chien agressif, je vais analyser et comprendre la cause de cette agressivité, et travailler sur cette cause, en lui proposant une activité qui lui plaît, avec lui, pas contre lui.
Provoquer un chien agressif, c’est comme verser de l’huile sur une route verglacée, c’est con et c’est dangereux.
Rédigé par Raphaël Pin de ECC