Meute, dominance.. qu’est-ce que c’est ? Et cela s’applique-t-il au chien ?
On entend souvent dire: “Mon chien est un dominant” ou encore “Il faut être le chef de meute”! KikiAffirmations dites avec aplomb, acceptées comme une sorte de vérité générale. Mais qu’en est-il réellement ? Que peut nous apprendre la science quant aux relations des chiens entre eux, et des chiens avec les humains ?
1) Parlons déjà de la notion de dominance / subordination
Le caractère de dominant ou subordonné existe chez de nombreuses espèces animales, mais encore faut-il savoir le définir correctement et surtout l’utiliser correctement. En fait, en éthologie, on parle de statut de dominant et de subordonné comme résultante d’une interaction entre deux individus.
Il ne s’agit pas d’un caractère fixe, ni d’un trait de tempérament. L’impulsivité, la témérité, ou au contraire la timidité sont des traits de tempérament propres à chaque individu qui peuvent avoir un poids sur l’orientation d’une interaction. Mais en aucun cas on ne peut parler de trait fixe dans toutes les situations. Un même individu peut ressortir dominant d’une interaction un jour ou pour un sujet de convoitise précis, car il est plus motivé, mais pas le lendemain, car il sera plus fatigué, ou sera moins motivé. Un même individu peut être dominant face à un individu A, mais subordonné face à un individu B. Bernstein écrivait dès 1981: « la dominance n’est pas en soi un trait mais une propriété émergente d’une relation » et « chaque animal a ses priorités même si elles changent avec le temps ».
2) Passons maintenant à la notion de hiérarchie de dominance
Et oui, cette notion est essentielle, car il ne faut pas confondre la notion de dominance/subordination avec celle de hiérarchie de dominance. En éthologie, la hiérarchie de dominance, lorsqu’elle existe dans un groupe, est définie comme suit: c’est une hiérarchie établie à partir de l’ensemble des relations (de dominance/subordination, ndlr) dyadiques au sein d’un groupe stable d’individus de la même espèce.
Attention, notez bien les trois points importants de cette définition scientifique:
1. « ensemble des relations dyadiques« , au pluriel => il ne peut donc pas y avoir de hiérarchie seulement entre deux individus, il faut pour parler de hiérarchie au moins 3 individus, pour pouvoir caractériser les relations unissant A à B, B à C et A à C.
2. « groupe stable » => il n’y a donc pas de hiérarchie qui s’installe sur un groupe de chien se rencontrant pour la première fois lors d’une promenade. Le cas des groupes de chiens qui se fréquentent de façon régulière est plus particulier, mais est-ce vraiment un groupe stable dans tous les cas ? Car ils ne se côtoient pas régulièrement pour toutes les activités du quotidien, et ne sont pas toujours tous au complet, si une famille a eu un empêchement et n’a pas pu venir par exemple, il « manque » donc un chien…
3. « d’individus de la même espèce » => je reviendrai la-dessus un peu plus bas, mais notez simplement qu’humains et chiens ne sont pas de la même espèce.
Et dans tous les cas, lorsqu’on peut parler de hiérarchie de dominance, il faut savoir qu’il en existe plusieurs types :
– Linéaire: A domine B, B domine C, et A domine C
– Circulaire: A domine B, B domine C et C domine A.
Chez le chien, tous les groupes ne sont pas toujours stables, et ce sont souvent des dyades qui sont observées chez les chiens qui errent librement. Et lorsqu’il y a groupes stables, les hiérarchies ne sont pas fixes et changent souvent, régulièrement, selon les situations. Pour plus de renseignements, n’hésitez pas à lire le chapitre « Ecologie et Socialité du chien » du livre « Comportement et Education du Chien », aux éditions Educagri.
3) Les limites de la théorie de la dominance chez le chien
LIMITE N° 1 : la notion inter-spécifique
La hiérarchie est une notion développée en éthologie pour étudier l’organisation des groupes d’individus de même espèce. A l’heure actuelle, il n’existe aucune preuve scientifique montrant qu’il existe des hiérarchies de dominance dans des groupes inter-spécifiques. N’oublions pas que les chiens sont capables de discriminer des éléments sur leur forme, leur taille et leur odeur. Or les chiens n’ont pas la même forme que es humains, ni la même démarche (marchent à quatre pattes, possèdent une queue, etc etc), n’ont pas la même taille non plus, et ne parlons pas de l’odeur! Les chiens sont capables de discriminer les humains des chiens (et même les individus familiers et non familier). Ils ne nous prennent pas pour des chiens !
(Pour plus d’informations sur les capacités de discrimination des espèces chez les chiens, n’hésitez pas à lire cet excellent article du Dr. Autier-Dérian et al. 2013 en cliquant ici: visual discrimination of species in dogs )
LIMITE N°2 : la focalisation sur les interactions agonistiques
En effet, cette théorie se base sur les seules interactions agonistiques (=agressives) pour décrire les relations entre les membres d’un groupe. Elle occulte complètement la résultante affiliative des interactions, c’est à dire les interactions agréables, amicales entre les individus. En quoi cela est-il important ? Voici un exemple volontairement simplifié pour que cela soit plus parlant: dans un groupe d’amis humains, ou dans une famille humaine même, les moments de disputes, donc d’interactions agonistiques, ne représentent qu’un faible pourcentage des interactions entre les individus! Et donc caractériser l’ensemble des relations d’un groupe en ce basant uniquement sur la résultante des interactions agonistiques, c’est passer à côté de la majorité des interactions reliant les individus et définissant réellement leurs relations. Le professeur B.Deputte en 2010 a d’ailleurs dit « la cohésion d’une groupe, sa condition d’existence, est maintenue par l’expression de caractères amicaux ».
LIMITE N°3 : La notion de famille meute
Parlons de la notion de famille-meute: une meute est définie en éthologie comme un groupe familial composé des parents et des enfants de l’année N, voire ceux de l’année N-1 qui sont restés pour aider les parents à élever les jeunes. Les individus peuvent s’y reproduire librement, fourrager (= chercher de la nourriture) librement, et quitter la meute librement. On parle alors de famille étendue (Fox, 1975). Mais là encore, on sait maintenant que les loups ne vivent pas tous en meute, certains sont solitaires, ou vont former des groupes temporaires pour chasser collectivement. Le groupe que vous formez avec vos chiens est-il réellement une meute ? Votre groupe de chien est-il réellement une meute ? Chez les fourmis, les oiseaux, les primates, etc etc on ne parle pas de meute, donc il faut faire bien attention à ne pas généraliser un concept de façon inadéquate.
Pour plus de renseignement sur l’organisation sociales des canidés, dont les loups et les chiens, référez-vous au chapitre « Ecologie et Socialité du chien » du livre « Comportement et Education du Chien », aux éditions Educagri.
POUR ALLER PLUS LOIN DANS VOTRE REFLEXION…
Bien d’autres limites pourraient aussi être trouvée, en voici quelques exemples. Mais je ne vais pas rentrer dans le détail, vous laissant plutôt exercer votre esprit critique.
Parlons juste des études réalisées pour mettre en place cette théorie de la dominance homme-chien: elles ont été faites sur des groupes de loups constitués de façon artificielle, en se basant sur les observations des interactions agonistiques uniquement au moment des repas. Puis elles ont été transposées au chien, sans véritable fondement scientifique, pour enfin l’être également à la relation humain-chien… il faut faire attention aux raccourcis rapides, faits sans fondement, car bien souvent ils mènent à des conclusions erronées. Qui plus est, vous semble-il normal d’attribuer à une espèce les règles comportementales d’une espèce avec qui elle partage un ancêtre commun ? Pensez-vous que les humains se comportent entre-eux selon les mêmes règles que les chimpanzés et/ou les bonobos ?
Et surtout, n’oubliez pas que la théorie de la dominance homme-chien est une théorie. Le propre d’une théorie scientifique est de pouvoir être argumentée, mais aussi réfutée, remise en question. Si ce n’est pas le cas, si quelque chose est affirmé sans preuves scientifiques pour l’étayer, si les critiques en sont dénigrées voire refusées, alors il s’agit d’un dogme, et cela n’est plus du tout scientifique. Il ne s’agit pas de dire que cette théorie est fausse, car scientifiquement, un chercheur apprend qu’on ne peut jamais dire que l’on sait tout, qu’il faut continuellement se remettre en question. Mais il s’agit de dire que cela n’est qu’une théorie, et que les preuves scientifiques actuelles ne semblent pas la confirmer, mais au contraire l’infirmer.
Sans parler des liens qui sont faits entre cette théorie et les méthodes utilisées pour l’éducation des chiens, se basant bien-souvent sur la violence, avec toutes les conséquences négatives que cela a sur le bien-être de votre chien. Mais cela est un vaste sujet et fera l’objet d’un autre billet de ce blog !
4) Ce qu’en pensent les éthologistes spécialisés en comportement canin
Adam Miklosi est un biologiste hongrois, qui a crée le « Family dog project » c’est à dire « Projet Chien de Famille » avec lequel lui et tous les membre de son équipe étudient de nombreuses problématiques liées au chien, comme la domestication, la comparaison des capacités du chien et du loup, les interactions humain-chien, les capacités cognitives des chiens, etc etc… Il est l’auteur d’un livre très complet sur les connaissance actuelles en éthologie canine: « Dog, behaviour, evolution and cognition ».
Dans une courte vidéo déjà présentée sur ce blog, voici ce qu’Adam Miklosi nous explique:
– L’idée de la dominance homme-chien est venue d’observations menées sur des loups captifs, retenus dans un endroit trop petit et mis en compétition => induisant beaucoup d’agressivité, & n’étant pas du tout une situation naturelle.
– Cela a été transposé au chien sans aucune raison !
– Il précise bien qu’il n’est pas nécessaire de voir dans le moindre fait et geste une idée de domination, qui est erronée, car cela n’existe pas entre deux espèces.
John Bradshaw, In defence of Dogs
John Bradshaw, 2009
John Bradshaw est un scientifique spécialisé dans le comportement animal, et plus précisément sur les problématiques de bien-être animal et l’antropo-zoologie avec l’étude des relations entre humains et animaux. Il oeuvre pour rendre accessible les connaissances scientifiques à tous les propriétaires de chiens ou personnes intéressées par le comportement du chien en écrivant de nombreux livres, et via d’autres média.
Dans un article publié en 2009, dans lequel il a observé les interactions entre un groupe de chiens mâles pendant plusieurs mois, il écrit:
-“La notion de dominance a été utilisée de manière erronée pour décrire un trait permanent d’un individu, même s’il n’y a pas de véritable preuve qu’un tel trait existe.”
-“Des relations par paires sont évidentes, mais aucune hiérarchie globale n’ a pu être détectée.”
– Il propose un autre explication à l’observation de comportements agonistiques entre chiens:
•Apprentissages associatifs : C’est à dire, de façon très simplifiée « lorsque je me bagarre, j’obtiens tel résultat » ou encore « lorsqu’ untel passe près de moi dans telle situation, pour éviter la bagarre je dois faire telle action (partir, etc etc) »
•Valeur des ressources qui varient selon les individus : De façon simplifiée ici selon la valeur que va avoir une ressource pour un individu, il cherchera à la garder au maximum, et donc pourra s’engager dans des bagarres. Et donc selon les objets, et les individus, cela donne parfois lieu à bagarre ou non, au vue des apprentissages associatifs faits par les individus au cours des interactions précédentes.
Plus de détails: lisez son article « dominance in domestic dog: useful construct or bad habit? »
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Pour conclure cet article, je finirai par ceci :peut-être que voir son chien comme un assoiffé de pouvoir cherchant à dominer tous les autres chiens et tous les humains n’est pas la seule façon qui soit. Bien sur, cela est pratique, une explication pour tous les maux que vous rencontrez! Mais vous pouvez aussi chercher d’autres explications, en vous penchant un peu plus précisément sur ce que votre chien a à vous dire. Vous pouvez aussi le regarder et voir en lui un chien, un compagnon qui partage votre vie, un membre du groupe que vous formez avec votre famille, vos autres chiens et chats par exemple, voire même, un ami. Dans tous les cas, gardez toujours un esprit critique face à ce que l’on vous dit, posez des questions, poussez les personnes dans leurs retranchement!
Rédigé par Charlotte Duranton, éthologiste.