ANXIÉTÉ DE SÉPARATION : un problème complexe à traiter au cas par cas
Je suis récemment tombée sur un article du magazine d’actualités scientifiques, Sciences et Avenir. Il était titré « Au secours, mon chien fait des bêtises quand je ne suis pas là ». Le terme ‘bêtises’ fait référence à des comportements problématiques pour l’humain, néanmoins, je trouve que ce choix de mots dédramatise un problème parfois très néfaste pour le bien-être de l’animal et qui doit généralement être pris très au sérieux.
Les conseils de l’article viennent d’un vétérinaire (il n’est pas précisé s’il est comportementaliste). Il est rapidement indiqué qu’un chien peut « faire des bêtises » lorsqu’il est seul parce qu’il est anxieux, c’est un bon point, car on prend en compte l’état émotionnel. Néanmoins, le reste de l’article est peu nuancé et contient des conseils généraux, souvent sans fondement scientifique, qui ne s’appliquent pas à tous les cas. Comme on entend encore très fréquemment ces conseils, c’est l’occasion de revoir un peu toutes ces idées et surtout, de mettre en lumière la complexité des problèmes liés aux absences. Surtout qu’on les traite souvent avec des protocoles généraux, quelle que soit l’origine du problème. Avant ça un petit rappel sur les problèmes liés à la séparation :
Qu’est-ce que l’anxiété de séparation ?
Le terme ‘anxiété de séparation’ fait référence à des comportements problématiques qui s’expriment lors des absences du/des gardien·s. C’est un terme ‘étiquette’ qui n’est pas bien utilisé, puisqu’il n’est pas toujours question d’anxiété. En général, les comportements les plus rapportés sont : la destruction, les aboiements et la malpropreté. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un chien n’exprime pas ces comportements qu’il va bien durant les absences. Certains chiens sont très agités, mais ne laissent pas de ‘traces’ ou ne se font pas entendre.
Un chien peut réagir ainsi pour différentes raisons, dont voici les plus fréquentes :
– Parce qu’il ne peut pas rejoindre son gardien.
– Parce qu’il se retrouve seul : il a peut-être eu une mauvaise expérience seul, il n’a pas été habitué à être seul… Certains chiens sont ok si une autre personne reste avec eux. Dans ce cas, leurs difficultés sont surtout liées à l’isolement/solitude.
– Le chien cherche à s’occuper avec ce qu’il trouve dans l’environnement de vie.
– Une personne en particulier s’absente. Le chien ne s’apaise pas, même si une autre personne reste avec lui. C’est une détresse liée à la séparation, à l’éloignement de cette personne.
– Il est sensible à l’environnement et réagit à des stimuli extérieurs. Par exemple, il aboie lorsqu’il entend des bruits dans l’immeuble.
– Parfois, les causes sont multiples.
L’hyper attachement, cause majeure ?
L’article souligne que si le chien se comporte ainsi durant les absences, c’est parce qu’il est, je cite, « très attaché à son maître ». Les études menées sur le sujet ont mis en lumière bien d’autres facteurs qui contribuent à ces problèmes. Possibles facteurs génétiques, environnementaux, les apprentissages, les attitudes des gardiens, un traumatisme, des problèmes cognitifs liés à l’âge et des problèmes de santé (entre autres). Ils peuvent également être causés par un trouble anxieux généralisé qui affecte le bien-être émotionnel du chien et sa résilience, dans tous les aspects de sa vie. Une perte de repères, après un déménagement ou un changement de vie important, peut aussi générer un trouble anxieux et des difficultés d’adaptation, ce qui explique que le chien développe des comportements problématiques durant les absences, même s’il n’y avait aucun problème auparavant.
Il est donc très réducteur d’affirmer que ces comportements sont causés par de l’hyper attachement. Cela conduit potentiellement à des erreurs de diagnostic et des interventions inadaptées. Il est donc problématique que l’article indique que la solution au problème est la même pour tous les chiens. Voici quelques uns des conseils donnés:
Sortir le chien 30 minutes avant le départ pour faire ses besoins, ignorer son chien 20-30 minutes précédant le départ, et l’ignorer au retour jusqu’à ce qu’il se calme.
C’est un conseil encore très couramment donné et pourtant, sans fondement. Dans le peu d’études qui ont analysé le lien entre ces facteurs et les problèmes liés à la séparation, il n’y a aucune association significative entre la façon dont on interagit avec son chien avant et après l’absence et les problèmes liés à la séparation. L’exercice physique avant une absence n’est pas non plus directement associé au développement de l’anxiété de séparation. Dans les cas où la séparation cause une panique, ce n’est pas parce que le chien est sorti avant le départ du gardien qu’il ne paniquera pas (ou moins).
À la maison, il faut que l’humain prenne l’initiative de tout contact avec son chien et seulement lorsqu’il est calme.
D’un point de vue du conditionnement dans les interactions, ce conseil peut avoir une certaine logique ; les comportements de l’humain peuvent renforcer certains comportements chez le chien. Par exemple, les réponses apportées par le gardien peuvent potentiellement renforcer les comportements que le chien va exprimer pour initier une interaction. Néanmoins, aucune étude n’a montré une association significative, ou mieux, un lien de causalité, entre le fait de prendre l’initiative de tout contact ou d’initier le contact quand le chien est calme uniquement. Là aussi, ce conseil n’est pas du tout adapté à certaines causes. Si le chien ressent une détresse émotionnelle parce qu’il n’a jamais été habitué à la solitude, ce conseil n’a aucun sens.
Nettoyer les dégâts devant son chien sera pris pour une marque d’attention.
Là aussi, dans l’éventualité où le chien cherchait à attirer l’attention du gardien, ce serait un conseil qui aurait une certaine logique. Cependant, les causes de la malpropreté pendant les absences du gardien ne sont pas forcément liées à une recherche d’attention. Elles peuvent être liées à l’apprentissage de la propreté, une incapacité à se retenir sur de longues durées, des problèmes médicaux ou le stress causé par cette séparation.
L’habituer à des périodes de séparation plus longues. Faire semblant de partir et de revenir, et ce, à des moments différents de la journée et sans prêter attention aux manifestations du chien.
Nous avons là un conseil qui peut être très mal interprété et conduire à des erreurs techniques problématiques. La désensibilisation systématique, qu’elle implique de travailler sur les signaux de départs (prendre ses clés, mettre son manteau…) ou sur les absences, doit être associée à de la relaxation et être progressive. On doit viser un maximum de succès et donc, travailler sur les critères les plus faciles. Cela peut impliquer de choisir le moment de la journée où le chien sera le plus calme. L’objectif principal est de ne jamais déclencher des réactions chez le chien durant les exercices, pour qu’il s’habitue aux critères que nous travaillons. On doit apprendre au chien à s’habituer = ne plus réagir. La désensibilisation systématique est complexe à appliquer, on doit maitriser de nombreux paramètres.
Éviter l’hyperattachement. Favoriser le contact du chien avec plusieurs personnes et non une seule.
Favoriser le contact avec d’autres personnes a surtout pour objectif de le faire garder ou le laisser avec un autre membre du foyer, afin de ne plus l’exposer à ces difficultés le temps de la thérapie. L’influence de l’attachement n’est pas bien compris. Ce conseil s’applique davantage aux chiens qui réagissent quand ils sont séparés d’une personne en particulier, mais pas forcément pour ceux qui ne supportent pas la solitude. Encore une fois, ce n’est pas forcément adapté à tous les cas. De plus, si le chien rencontre des difficultés liées à la solitude parce qu’il est généralement anxieux, ce n’est pas le détachement qui va lui faire du bien, mais plutôt, le sécuriser dans sa relation avec son gardien, ce qui a été suggéré dans plusieurs études. Un attachement sécurisé peut grandement influencer son bien-être.
On considère que l’hyperattachement est exprimé de la manière suivante ; le chien suit son gardien partout, il cherche toujours à être avec lui et ne fait pas d’activités sans lui. Il a été proposé que l’hyperattachement était une cause majeure d’anxiété de séparation. Pourtant, les études ne vont pas dans ce sens et plusieurs indiquent qu’il n’y a pas de lien significatif entre l’hyperattachement et l’anxiété de séparation. Dans l’une d’entre elles, 64% des chiens qui n’avaient pas de problèmes avec les absences des gardiens, exprimaient très fréquemment les comportements ci-dessus. Les comportements qui caractérisent l’hyperattachement ne peuvent donc pas être des critères pour le diagnostic d’anxiété de séparation. Réduire l’hyperattachement, en limitant le contact ou en ignorant le chien n’est donc certainement pas la réponse la plus appropriée. D’autres critères liés à la qualité du lien d’attachement doivent être explorés.
Pour conclure…
Je suis navrée de voir qu’un article qui sera lu par un très grand nombre de personnes manque autant de nuances, qui plus est dans un magazine scientifique. Cependant, ce que je veux mettre en lumière, c’est que les problèmes liés à la séparation/solitude sont souvent très complexes ; ils peuvent avoir de nombreuses causes et les solutions doivent être adaptées à chaque cas.
Parfois, notre priorité ne sera pas de travailler sur ce problème, mais sur un état anxieux généralisé ou un problème médical. Parfois, il suffira ‘simplement’ de bloquer les stimuli extérieurs, parfois, il faudra mettre en place une désensibilisation systématique qui durera plusieurs mois. Parfois, ce sera un mix de plusieurs interventions qui seront nécessaires.
Appliquer le même protocole pour chaque chien est une grosse erreur, qui est éthiquement discutable vu les risques que cela peut impliquer pour l’animal si le protocole n’est pas adapté : aggravation de l’état émotionnel, bien-être et qualité de vie très réduits, risque d’abandon dans le cas où le problème ne s’améliore pas et parfois, risque d’euthanasie.
Article rédigé par Géraldine Merry de Vox Canis, à retrouver sur : https://www.facebook.com/voxcanis/