L’apprentissage du port de la muselière
Éducateurs compris, on me parle souvent de « désensibilisation à la muselière » alors que, à chaque fois, il s’agit plutôt de conditionner une réponse initiale à un moyen qui suscite une telle aversion auprès du public qu’on l’imagine déjà forcément et naturellement catalogué, dans la tête d’un chien, comme engin d’opprobre et de torture
On parle uniquement de « désensibilisation » quand un premier conditionnement (généralement négatif) a été fait chez le chien vis-à-vis d’un objet, personne ou situation – une procédure de désensibilisation c’est changer cette association, néfaste, par une autre, positive.
Personne ne mettra en question l’utilité, ne serait-ce que ponctuelle, de la laisse comme moyen d’assurer la sécurité du chien notamment. De manière générale, l’immense majorité des chiens va se dire « youpie, on sort » (il y a des exceptions à cette généralité mais ce n’est pas le thème du jour). Cette joie chez le chien déclenche, à son tour, une satisfaction chez l’humain qui apprécie de rendre son chien heureux et en avant pour un cercle vertueux (cette joie qui, parfois, nous est indispensable pour affronter la balade du matin ou du soir quand il fait un temps à manger des loukoums sous son édredon).
Une association qui se fait tout naturellement…. il est tellement plus facile de créer, dès le départ, une association positive avec un quelconque objet, moyen, personne ou situation que de devoir travailler à transformer une association néfaste en une autre, plus appropriée.
Pourtant, quand on décide qu’on va museler Youki (idéalement, en prévention d’un accident de morsure ou parce que cela vous aura été imposé par une quelconque autorité déjà), c’est avec le cœur lourd et l’esprit chagrin que le propriétaire va se résoudre à cet apprentissage.
Pourtant, le but ultime est de voir Youki s’illuminer de cette même joie profonde en voyant arriver sa muselière que quand il vous voit empoigner la laisse « chic, on sort, on va faire un truc ensemble »
si, si… c’est possible
Procurez-vous, avant tout, une muselière appropriée : je vous rappelle, au passage, que la muselière de nylon qui garde mécaniquement la gueule du chien fermée, sans possibilité de haleter, est une muselière dite « d’urgence » – facile à transporter, légère, elle peut servir à un vétérinaire qui doit agir rapidement, elle peut servir à se mettre à l’abri d’une morsure d’un chien qui éprouve une forte douleur (blessure) lors d’un transport vers un lieu de soins.
Ce qu’elle n’est PAS, par contre, c’est une muselière pour une utilisation continue et quotidienne (et, accessoirement, elle est justement interdite en Suisse en utilisation continue et quotidienne).
Pourquoi? Parce que le chien ne transpire, et donc régule sa température corporelle, que par sa gueule (et très accessoirement par ses coussinets) : gueule que nous avons tous loisir d’observer très grande ouverte et haletante quand il fait chaud, quand le chien fournit des efforts physiques ou les deux. La muselière nylon l’empêche d’ouvrir la gueule et peut donc amener une hyperthermie gravissime voir, rapidement, mortelle.
Une muselière appropriée est une muselière dite « panier » ou « cage » dont aucun morceau ne blesse votre chien, qui est solidement fixée et ne peut être enlevée même (et dirons-nous surtout) en cas de bagarre (sinon c’est pas la peine d’avoir une muselière, on en conviendra).
Ma préférée (et non, je ne touche pas de royalties encore même je reste ouverte à toute proposition dans ce sens en cas de très forte notoriété subite ah ah ah…) c’est, indiscutablement, la Baskerville Ultra: bien profilée, solide, le matériau utilisé est doux au toucher. De plus, elle a deux points d’attache de sécurité supplémentaires (attaches en néoprène rembourré) qui ne blessent pas et vous évitent de voir la muselière se déplacer au moment le moins opportun du monde.
Non seulement elle permet au chien de haleter à sa guise mais même de boire et de prendre des friandises. Il est INDISPENSABLE que votre chien puisse prendre des friandises alors qu’il porte sa muselière s’il est travaillé en contre conditionnement (bref, si on le ré-éduque disons).
Sans compter l’indispensable notion de pouvoir récompenser le chien dans le but d’un travail de rééducation, elle fait moins Hannibal Lecter que d’autres…
Comment procéder?
Pour habituer le chien à la porter, travaillez en des sessions COURTES (3-5 minutes maxi) plusieurs fois par jour (plus elles seront nombreuses, plus elles seront nombreuses et courtes et mieux cela vaudra pour cet apprentissage).
Oubliez, par pitié, votre air contrit, votre mine dépitée et vos sentiments du style « mon pauvre bébé » et soyez conscients que vous allez conditionner votre chien à l’acceptation complète de ce moyen qui va lui éviter (et à vous et d’éventuelles futures victimes par la même occasion) des conséquences plus que fâcheuses
Présentez la muselière à votre chien et donnez lui un petit morceau de quelque chose de particulièrement appétissant (foie séché, jambon, fromage, poulet, etc) : vous répéterez cet exercice jusqu’au moment où vous verrez, clairement, se profiler dans l’expression de votre chien, une expression « oh chic, cette chose encore » Votre chien n’a pas vos a priori. Rappelez-vous : la muselière d’abord, la friandise ensuite – pas le contraire.
La muselière apparaît, le « bonbon » aussi… la muselière disparaît (cachez la derrière votre dos), le bonbon disparaît. La muselière revient, le bonbon revient
Permettez à votre chien de renifler la muselière (s’il connaît le signal « touche », demandez-lui de toucher, sinon travaillez en shaping et si vous ne savez pas de quoi on parle, cherchez ces infos sur ce site ou venez prendre un cours chez moi). Répétez autant de fois que nécessaire : votre chien doit allègrement toucher l’extérieur de sa muselière.
Répétez le même exercice avec la muselière présentée sous tous ses angles. Votre chien doit pouvoir toucher, avec énergie et conviction, les différentes parties de la muselière. Chaque touche, chaque contact vaudra une friandise au chien, ne soyez pas radin !!
Si tout procède bien, proposez une friandise par l’extérieur de la muselière. Répétez autant de fois que nécessaire afin que le chien s’engage à l’intérieur de la muselière sans hésitation aucune et avec enthousiasme, rappelez-vous, c’est un jeu et tout va bien
C’est le chien qui va à la muselière et NON LE CONTRAIRE !!!
Quand le chien saura mettre son museau au fond de la muselière, travaillez la durée du comportement, en proposant un certain nombre de friandises en continu à l’extérieur de la muselière.
Si le chien se désengage, ne le retenez surtout pas et recommencez avec des ambitions plus modestes.
Graduellement, augmentez la durée entre une friandise et la suivante quand le chien est à l’intérieur de la muselière : ne travaillez jamais dans une progression continue (donc pas 2 secondes, puis 3 puis 4 puis 5 et ainsi de suite mais en « ping pong » : une seconde, 2 secondes, 1 seconde, 3 secondes, 2 secondes, 4 secondes, 1 seconde…).
Peu à peu, votre chien deviendra capable d’attendre dix, quinze secondes, le museau dans la muselière, avant d’entendre son click et d’obtenir sa friandise.
Alors que le chien a son museau bien au fond de sa muselière, attachez une lanière, cliquez, récompensez et défaites de suite la lanière. Encore une fois vous allez travailler la durée, d’abord en récompensant en continu pendant la durée choisie puis en augmentant, graduellement (et en « ping pong » toujours!!) le temps qui s’écoule entre une récompense et l’autre.
Pendant toute la durée de cet apprentissage, si le chien devait se rebeller, sortir de la muselière, s’en aller, montrer du stress ou un mal être – revenez au stade précédent, quand tout allait bien pour lui et recommencer avec moins d’ambition et dans une progression plus lente et respectueuse de son bien-être.
Clair, vous avez bien bossé…. bravo . Attention toutefois à ne pas vous dire « wow, super c’est fait » et proscrire, à tout jamais, la récompense pour le port de la muselière.
Il faut non seulement que celles-ci continuent en aléatoire mais également que vos activités en muselière soient gratifiantes – ne mettez pas la muselière uniquement pour aller là où votre chien a généralement peur ou mal (véto par exemple), sinon au revoir votre association positive sur laquelle vous avez si magnifiquement travaillé, ce serait dommage et tout serait à refaire (et, cette fois, ce serait une désensibilisation, ce que vous voulez absolument vous éviter à tous les deux)
Il existe une très chouette vidéo sur YouTube par Chirag Patel, un éducateur britannique fort connu, qui détaille en image cet apprentissage (tapez « Teaching a dog to wear a muzzle » Chirag Patel sur Google et vous tomberez dessus)
Article rédiger par : © Cynthia Edelman-Rota
http://www.magicclicker.ch/la-museliere/