» Il a goûté au sang ! »
Qui n’a pas déjà entendu les fameuses rumeurs concernant le chien qui mord qui remordra forcément ou encore le chien qui goûte au sang qui ne pourra plus s’en passer ?
« N’importe quel chien qui a goûté au sang est capable d’attaquer à nouveau, à n’importe quel moment. »
« Un chien qui goûte au sang c’est fini pour lui, il cherchera toujours à y goûter. »
« Il faut euthanasier un chien qui a goûté au sang car il recommencera. »
Cette idée reçue absolument infondée donne l’impression d’une contagion, d’un virus qui se propagerait, comme si la moindre minuscule goutte de sang qui viendrait effleurer la gueule de nos chiens activait le bouton ON de l’animal sanguinaire, psychopathe et meurtrier qui sommeille en eux… tels des chiens zombies.
D’ailleurs, ce mythe ridicule vaut même si la morsure n’a occasionné aucune lésion.
Il est donc important de rappeler qu’un chien qui mord n’est pas « timbré » ni « foutu »… c’est juste un chien ! Tous peuvent mordre si la situation les y oblige (ils ont tous des dents ainsi qu’une sensibilité et un seuil de tolérance qui leur est propre). De plus, bien souvent l’animal prévient (mais ses signaux ne sont pas pris en compte voire réprimés). Une conduite agressive est codifiée et ritualisée, c’est-à-dire qu’elle se déroule toujours de la même manière, ce qui la rend prévisible. Elle se déroule en trois étapes :
* La menace
Elle sert à impressionner un individu et à éviter l’attaque. Grognement, gencives découvertes, mydriase (dilatation des pupilles), raidissement des membres, piloérection… l’animal prévient l’autre de cesser immédiatement ce qu’il est en train de faire. En cas d’inefficacité, la menace est mise à exécution par la morsure.
Cette phase peut être supprimée si l’animal est pris de panique, souffre, s’il a été dressé au « mordant », si elle n’a jamais été prise en considération ou s’il n’a pas bénéficié des conditions de développement précoce adéquates.
* Le passage à l’acte : la morsure
Si sa menace s’est avérée inefficace, le chien passe à l’étape suivante : la morsure (prise en gueule plus ou moins fortement tenue, dosée et lâchée en fonction de la situation et de l’autre). La morsure n’est pas faite pour tuer (sauf pour les cas de dressage au « mordant » ou dans la poursuite, saisie et morsure dite « délabrante » d’une proie).
* L’apaisement
Le vainqueur pose sa patte sur l’autre ou le lèche : cela indique la fin du combat et signale le retour à la paix.
Donc si votre animal s’est battu avec un congénère, s’il a mordu voire tué un autre animal par prédation (surtout si sa race l’y prédispose), s’il s’est retourné contre vous alors que vous le réprimandiez, s’il s’en est pris à l’individu le plus proche car surpris pendant son sommeil, s’il a mordu parce que la situation lui a fait peur ou mal, s’il est passé à l’attaque après avoir menacé ou si personne n’a jamais tenu compte de ses menaces, il ne s’est pas brutalement métamorphosé en monstre sanguinaire avide de sang pour autant, il s’est juste comporté en chien…
* Les survivants du drame de la cordillère des Andes ont été contraints de se repaître des restes humains des victimes de l’accident pour survivre, ont-ils pris goût au sang pour autant ?
* Pourquoi y a-t-il plus d’euthanasies de gros chiens ? Uniquement parce que les petits ne font « que » mordre, que les gens ne craignent pas pour leur vie et que les dégâts sont moindres (quoique…). Mais pourtant ces petits chiens-là goûtent au sang eux aussi. Sont-ils eux aussi des êtres sanguinaires qu’il faut tuer d’urgence ?
* Les chats qui ramènent des proies à leurs propriétaires sont-ils plus susceptibles que les autres de les attaquer à leur tour ?
* Combien d’animaux (chiens, chats, furets…) à qui l’on donne de la nourriture naturelle à base de viande crue se sont mis à dévorer leur entourage ?
* Combien a-t-on dénombré de cas d’humains mordeurs suite à l’ingestion d’un tartare ?
Si le processus « sang + papilles = dépendance » existait, la Terre serait peuplée d’animaux de compagnie tueurs et de cannibales nécrophages avides de chair. Hors, il existe des millions d’animaux familiers pour qui une morsure n’a pas engendré de dépendance au sang et même des gens qui, après 15, 20, 25 voire 30 ans de régime alimentaire à base de viande, ont cessé d’en ingérer (on appelle ça des végéta*iens !).
Si vraiment vous croyez à ce mythe, je vous conseille de vous barricader chez vous en évitant tout contact avec le monde extérieur… à moins de vouloir vivre dangereusement !
Alors si votre chien a mordu, contactez au plus vite un comportementaliste qui vous aidera à comprendre ses motivations, à éviter et désamorcer les situations à risque et à retrouver des relations saines et apaisées avec lui. Mais n’allez pas imaginer qu’il est désormais accroc à l’hémoglobine et qu’il vous surveillera, tapi dans l’ombre, attendant un moment d’inattention de votre part afin de vous trancher la jugulaire pendant votre sommeil…
Rédigé par Victoria Chasle Castillo
Comportementaliste