Mon chien défend son territoire!
Souvent pour justifier des comportements d’agression produits par leurs compagnons, les propriétaires de chiens utilisent l’excuse du territoire. L’individu qui franchit le portail du jardin ou la porte d’entrée serait donc sur le territoire du chien et son agression serait justifiée. Se pose alors plusieurs questions, qu’est ce qu’un territoire? Quelles sont ses limites? Le chien est-il un animal territorial? Je vous propose avec cet article de revoir ensemble la définition d’un territoire et de réfléchir sur l’aspect territorial du chien.
Territoire et domaine vital chez les animaux.
Burt [1943] définit le domaine vital comme la surface traversée par l’individu pendant ses activités normales de recherche de nourriture, de reproduction et de soin aux jeunes. En somme c’est l’aire qui permet à un animal de répondre à ses besoins primaires. Ce lieu fréquenté n’est pas forcément défendu. Les limites en sont fluctuantes, franchissables par d’autres individus ou groupes de la même espèce sans agressivité. Plusieurs domaines vitaux peuvent se chevaucher sans agressivité.
L’étendue du domaine vital dépend de la taille de la population. En cas de surpopulation, une partie de la population quittera le domaine vital, suite à des comportements d’agressions ou de combats ritualisés. En outre, les mâles possèdent souvent un domaine vital de taille supérieur aux femelles, bien que cela dépende des espèces. L’étendue du domaine vital dépend des capacités de dispersion, pour exemple une tortue aura nécessairement un domaine vital plus réduit que l’aigle. Le Grizzli de l’Alaska a pour sa part un domaine vital d’une étendue de 80 Km2, si l’on perturbe ou détruit cet habitat le Grizzli ne va pas pouvoir se maintenir. Au sein des domaines vitaux on trouve également des routes, des lieux de passages réguliers, les éléphants par exemple sont connus pour emprunter régulièrement ces routes. En somme, le domaine vital englobe tout l’espace nécessaire à la survie de l’individu et sa famille.
Le territoire est la partie du domaine vital qui est défendue, comme Aaron et Passera l’explique : “la défense d’un territoire est une caractéristique fondamentale de l’organisation sociale de vertébrés. Les territoires sont des espaces défendus agressivement par leur propriétaire à l’égard de tout intrus. Ils permettent en premier aux animaux de s’approprier des ressources alimentaires.” Il existe deux grandes façons de défendre son territoire, l’agression et le marquage. Un territoire doit être marqué sinon on ne peut reprocher à un congénère de s’y aventurer (comment pourrait-il savoir?). Le marquage qui est une forme de dissuasion permet d’ éviter le combat, un combat est toujours coûteux (blessure, mort, coût en énergie).
La caractéristique du territoire dépend de celle du groupe, il est composé en général d’une résidence principale, de refuges, de lieux de marquages, lieux de défécation, points de nourriture, points d’eau et chez de nombreux animaux d’une réserve de nourriture. Les mâles sont généralement plus territoriaux, ils ont besoin de plus de ressources, les femelles choisissant le mâle qui en possède le plus, un mâle sans territoire chez beaucoup d’espèces n’est pas capable de se reproduire. Il n’existe pas de superposition des territoires au contraire des domaines vitaux, il existe bien quelques frictions aux frontières, chacun essayant d’étendre un peu son territoire, mais pas plus.
A l’intérieur du territoire, existe encore la proxémie, une distance sociale. Prenons pour exemple les oiseaux de mer : le territoire d’un couple lors de nichées est d’à peine quelques dizaines de centimètres, une distance qui sépare les couples. C’est la proxémie, la distance sociale, c’est une sorte de bulle, si un congénère ou un autre individu entre dans cette bulle il y a agression. En revanche le territoire des oiseaux de mer compte plusieurs kilomètres carrés.
Un territoire peut être maintenu pendant plusieurs années c’est le cas pour les fourmis ou pendant juste quelques heures, les papillons des bois se battent quelques heures ou moins pour des trous de lumières leur permettant d’être mieux vus par les femelles. L’importance spatiale est très variable suivant le stade de la vie de l’animal : pour exemple, le territoire de la poule est réduit pendant la ponte, plus large pendant l’élevage des poussins (si un poussin se perd sur le territoire d’une autre poule il se fait dégommer, les poules se battent pour étendre leur territoire pour leurs poussins). Mais tout l’espace n’est pas divisé en territoire, la majorité de l’espace visité par les animaux est divisé en zones neutres, ce sont souvent des espaces non exploitables.
Le marquage
On distingue trois types de marquages ayant tous des avantages et des inconvénients:
Marquage acoustique :
Le marquage acoustique est très fréquent chez les oiseaux, les crocodiles, certains insectes (grillons), chez le lion de mer, les chiens de prairie etc. Ce type de marquage a un très grand avantage : c’est un signal à longue distance, il évite aussi de patrouiller physiquement. Néanmoins, ce type de marquage a aussi ses limites : Pour que le marquage soit efficace il faut que le signal soit entendu, il faut donc qu’il soit supérieur au bruit de fond. Pour exemple, les oiseaux qui marquent leur territoire par marquage acoustique vont crier, marquer, plus fort pour dépasser le bruit de la ville.
Marquage visuel :
On peut citer différents exemples de marquage visuel : Organes génitaux des singes, ces derniers, très colorés servent à montrer la limite du territoire, si un singe montre ses parties c’est la limite. On pourra citer les céphalopodes et leur très complexe marquage visuel, mais aussi le gnou bleu (Connochaetes Taurinus) qui effectue une sorte de danse, d’acrobatie, aux extrémités de son territoire. Ce type de marquage est assez limité, c’est un signal à courte distance et dépendant du bruit de fond, il est utilisé par des espèces diurnes vivants sur un territoire restreint et relativement ouvert pour éviter les obstacles visuels.
Marquage chimique :
Le marquage olfactif peut être de natures diverses, sécrétions glandulaires, excréments, urine etc. Il est généralement effectué sur des endroits précis du territoire comme le pourtour (les frontières). Au niveau des sécrétions glandulaires, il existe des glandes spéciales pour les produire :
- Lapin : glandes annales, glandes sub-mandibulaires
- Antilopes : Glandes pré-orbitales
Les fourmis produisent, elles, une phéromone exclusivement dédiée au marquage, une phéromone de territoire. L’hippopotame quant à lui projette ses excréments au loin pour marquer son territoire. L’avantage du marquage olfactif est qu’il dure plus longtemps que le marquage visuel ou le marquage acoustique. Son principal inconvénient est qu’il n’est pas permanent, il faut patrouiller ce qui est coûteux en énergie, mais on peut aussi déléguer, chez les fourmis il existe des individus dont la seule fonction est de garder le territoire et refaire le marquage. Le marquage est un élément de dissuasion qui permet le statut quo.
Au final ce qu’il faut retenir : le territoire est la partie défendue du domaine vital, un territoire est marqué de différentes façons selon les espèces et l’intrusion d’un congénère mènera à une agression.
Le chien, un animal territorial ?
Il est établit que le chien utilise une communication chimique à travers des marquages urinaires qu’on distingue aisément des mictions vraies de par la quantité émise et la posture de l’animal “patte levée”. Mais aussi à travers différentes odeurs corporelles issues des sécrétions de différentes glandes, glande sébacée, glandes sudoripares, glandes annales.
Mais la question de l’utilité de ces marquages se pose, si ces marquages devaient avoir une fonction territoriale alors il devrait s’en suivre automatiquement une répulsion des chiens étrangers. Or, lorsque nos compagnons marquent en balade, il ne dézinguent pas le premier chien qui va passer par leur marquage, il n’est pas non plus rare de voir un congénère étranger marquer à son tour sans qu’aucune agression ne se déclenche entre les deux protagonistes. D’autre part le territoire est aussi un moyen de régulation de la population, un groupe se reproduisant sur un territoire sur lequel il a les ressources nécessaire pour l’élevage de ses jeunes. Or, chez le chien il n’a pas été constaté de contrôle social de la reproduction.
Il semble que l’urine soit un stimulus olfactif pour les chiens, le flairage d’urine déclenche une miction ou un marquage, il semble aussi que l’urine ait une fonction dans le comportement sexuel puisque les mâles sont attirés par l’urine des femelles en oestrus. Mais il ne semble pas qu’elle ait une fonction territoriale. L’étude menée par Boitani et Ciucci sur les chiens féraux en Italie n’a pas non plus révélé de territorialité chez les groupes sociaux de chiens, aucune reproduction autonome des groupes ni de contrôle social de la reproduction n’ont été observés. Les groupes se mélangent, se font et se défont au grès des affinités et des rencontres, on ne trouve pas de reproducteurs attitrés ni de groupes sociaux fixent. Ainsi les chiens semblent vivrent sur un domaine vital partagé ou seules les ressources sont défendues par certains individus qui se les sont appropriés, une poubelle, une tanière, une partenaire en oestrus etc.
Alors peut-on considérer qu’un chien défende son territoire lorsqu’il agresse des individus qui entrent dans la maison ou le jardin de ses maîtres? Non. Les apprentissages de familiarisation de ce chien n’ont pas été correctement fait, et un travail permettra de diminuer voir d’éteindre ce comportement. Le budget temps est aussi à reconsidérer dans ce type d’agression, un chien qui reste toute la journée dans le jardin ou la maison se jettera au portail ou sur la porte car c’est le seul endroit où il se passe quelque chose dans sa journée monotone et solitaire. Un chien qui a un budget temps correct dormira pendant votre absence. Enfin, il est important de ne pas tomber dans l’anthropomorphisme, ce n’est pas parce que l’on est une espèce territoriale (comment ça non? Et c’est quoi une alliance, sinon le moyen de marquer notre partenaire? Et une clôture de jardin ça sert à quoi?) que notre compagnon l’est et ce n’est pas parce que vous vous sentez tenu de défendre votre bout de jardin ou votre télé dernier cri que cela aura une quelconque importance aux yeux de votre chien.
Rédigé par Chloé Bonnadier de Of Ghoste- Siberian Husky