Comment notre vision du chien influence nos méthodes d’éducation ?
A qui n’a-t-on jamais expliqué qu’avec un chien, il fallait être le chef de meute, le dominant ?
Et oui, pendant longtemps, on a considéré que la relation Homme-chien devait être basée sur un modèle dominant-dominé. L’Homme devait donc prendre l’ascendant sur son chien, qui risquait de revendiquer cette place de chef de meute sinon. Avec cette vision hiérarchique, les maîtres ont souvent multiplié les interactions négatives avec leur compagnon. Puisque la pression sociale était si forte, tout maître se devait de faire obéir son chien, coûte que coûte. Et si des corrections plus ou moins violentes étaient nécessaires, alors elles étaient justes. La société a aussi intégré certaines règles qui paraissent évidentes à tous: un chien doit manger après son maître, passer les portes après lui, ne pas monter sur le canapé ou le lit, ou encore ne jamais avoir l’initiative des interactions (caresses, jeu…).
« On a toujours fait comme ça, ça fonctionne ! »
C’est vrai, le plus souvent…
En effet, face à des chiens avec un tempérament suffisamment souple et conciliant, ça marche. Une éducation basée sur la réprimande découle souvent de cette vision hiérarchique de notre relation. On doit être le chef, alors on punit, plus ou moins violemment, les mauvaises actions du chien. Or celui-ci ne cherche qu’à éviter toute peur ou douleur. Il se plie donc aux ordres de son maître.
Et si parfois, il essaie de se rebiffer, on n’a qu’à augmenter la punition pour qu’il cède et abandonne son comportement.
Si cela se répète, le chien apprend qu’il n’a pas de choix, et ne prend plus d’initiative, par peur de la sanction qui pourrait arriver.
Cette situation atteint parfois ce que Seligman a caractérisé dans les années 60 (voir le détail en encadré, ou lire le très bon article du Dr Ciska Girault) :
L’impuissance apprise.
Expérience de Seligman* (1967) :
Dans cette expérience, il a équipé des chiens d’un harnais leur infligeant régulièrement des décharges électriques. Il leur a appris à appuyer sur un bouton pour faire cesser le courant. C’était toujours le cas pour un premier groupe de chiens. Mais pour un second groupe, à partir d’un moment, il a fait en sorte qu’appuyer sur le bouton ne provoque plus rien, et les décharges continuaient donc.
Les chiens du premier groupe appuyaient donc le plus vite possible sur le bouton au début des décharges. Par contre, les chiens du second groupe, après plusieurs échecs, n’essayaient plus d’appuyer sur le bouton, et restaient immobiles à endurer les décharges.
Pire! Il a ensuite fait une seconde expérience, pour voir si la réaction des chiens avait été changée durablement. Les mêmes chiens ont été placés dans une cage dont le sol était électrifié d’un côté et normal de l’autre. Un petit rebord facilement franchissable séparait les deux zones. Les chiens étaient placés du côté électrifié.
Ceux du premier groupe, dès le début des décharges, passaient rapidement de l’autre côté de la cage, évitant ainsi le courant. Mais les chiens qui avaient été impuissants lors de la première partie de l’étude, restaient prostrés sur la partie électrifiée, résignés sans même essayer de se soustraire au courant, alors qu’ils en avaient la possibilité ! L’état de ces chiens est souvent assimilé à de la dépression profonde.
Mais parfois…
ça ne fonctionne pas !
Plusieurs situations se présentent :
- même pour un chien conciliant, certains problèmes peuvent se poser :
Une telle éducation ne favorise pas le lien de confiance entre le chien et son maître. Celui-ci prend donc un risque dans certaines situations. Par exemple, certains chiens peuvent mordre si quelqu’un s’approche de leur gamelle ou les dérange quand ils dorment. Mais la société tolère de moins en moins cela de nos jours. Le danger est d’autant plus grand que les chiens vivent de plus en plus souvent dans nos foyers. Ceci multiplie le risque d’être confronté à l’une de ces situations.
Et on ne peut parfois pas les éviter : pour réaliser un soin, parfois douloureux, le maître n’a souvent pas le choix et risque la morsure. Il en va de même pour faire lâcher un objet de forte valeur au chien (s’il pique le steak qui traînait à sa portée, ou le jouet du bébé par exemple).
Pire : celui qui a ainsi éduqué le chien a parfois suffisamment d’ascendant sur lui pour qu’il n’ose le mordre. Mais qu’en est-il des autres membres de la famille, d’un enfant ou d’un étranger qui passerait par là au mauvais moment ?
- certains chiens ont un tempérament plus fort, et ne se plient pas facilement aux ordres donnés. Ils sont souvent dits « dominants » et « têtus ». Les problèmes qu’ils posent à leurs propriétaires peuvent les conduire à l’abandon, voire à l’euthanasie. En effet, une fois poussés à bout, ils peuvent mordre facilement et représentent un danger pour tout le foyer
Mais alors, d’où vient le problème ?
La science du comportement nous apporte des éléments de réponse :
- Les notions de hiérarchie utilisées découlent d’observations faites chez le loup. Mais même s’ils descendent d’un ancêtre commun, plusieurs milliers d’années à nos côtés ont nécessairement modifié le comportement des chiens, par rapport à celui des loups. C’est d’ailleurs ce que l’on constate en observant les chiens féraux (chiens domestiques retournés à l’état sauvage). Ils vivent principalement seuls ou par petits groupes fluctuants. Ils chassent de façon solitaire quand ils ne se contentent pas de faire nos poubelles (Boitani et al., 2007).
- Les scientifiques remettent aussi en question la hiérarchie verticale décrite au sein des meutes de loups. Ces conclusions résultaient d’observations de groupes vivant en captivité et formés par l’Homme. David Mech (1999) a remis en cause ces conclusions. Les meutes sont en fait souvent des groupes familiaux. Le couple alpha est le couple reproducteur, les autres membres du groupe sont leurs petits. Les conflits éclatent principalement autour de la ressource alimentaire. Dans ce cas, les parents y ont accès en premier, et la partagent avec les louveteaux de la dernière portée. Ceux des portées précédentes mangent après. Cette hiérarchie n’est donc pas aussi stricte que ce que l’on décrit habituellement, et repose surtout sur des principes d’organisation familiale.
Qu’est-ce que cela implique ?
« Mais alors, doit-on tout leur laisser faire? » entend-on souvent…
Comme si ne pas avoir recours à la violence, physique ou verbale, voulait dire ne pas mettre de limite.
Bien sûr, l’Homme reste le décideur pour son chien : nous décidons souvent du moment des repas, des sorties, du repos, de ce qu’il mange, de qui il côtoie etc.
Mais si être maître d’un chien nous donne tous ces droits, j’aime à penser que cela s’accompagne aussi de plusieurs devoirs :
-
répondre à ses besoins de base :
nourriture, eau, sécurité et santé. Cela semble évident, mais ce n’est déjà pas toujours respecté malheureusement. Par exemple, le terme sécurité inclut bien sûr la mise à disposition d’un abri. Mais on peut aller plus loin. Vivre dans la peur de la sanction ne confère-t-il pas un sentiment d’insécurité. Et si respecter ces besoins est un minimum, ce n’est pour moi pas franchement suffisant.
-
assurer son bien-être :
le chien n’a pas choisi de vivre parmi les humains, et encore moins dans notre famille. Le bien-être nécessite le respect des besoins de base, mais aussi (selon la définition légale) : « pouvoir exprimer les comportements inhérents à son espèce ».
La notion de choix et de liberté apparaît alors. C’est essentiel pour pouvoir parler de bien-être. Par exemple, l’ensemble des besoins de base des prisonniers sont comblés, mais peut-on dire qu’ils sont heureux? Pourtant, il ne leur manque que la liberté…
Pour un chien, cet aspect du bien-être peut inclure de nombreux comportements : creuser, aboyer, chasser, avoir des contacts sociaux en quantité et qualité suffisantes… Pas facile dans nos sociétés où le chien doit être sage et ne causer aucun dégât ni aucun trouble à quiconque… A nous d’être vigilants et d’apporter cela à nos compagnons le plus souvent possible. Il creuse quand il est sur la plage? Ou il aboie quand il joue en forêt? Et s’il passe sa balade à renifler chaque brin d’herbe? Et oui, c’est un chien, qui exprime les comportements inhérents à son espèce… Vu sous cet angle, ce n’est plus un chien pénible que l’on a devant nous, mais un chien heureux. Et on n’a plus qu’à profiter de ces bonheurs simples avec lui! (et l’éduquer pour qu’il soit sage le reste du temps! 😉 )
-
ce qui nous amène à notre dernier devoir (toujours d’après moi) : la bienveillance!
Acceptons nos chiens tels qu’ils sont, avec leur spontanéité et leur personnalité. Pensons à ce qu’ils ressentent plus qu’à ce qu’ils font. Parce que non le chien qui urine dedans ou mange le bas de la porte quand on le laisse seul ne se venge pas, il panique. Le chien qui aboie comme un enragé quand il voit un congénère au loin n’est pas un chien méchant ou dominant. C’est un chien qui a peur ou qui est frustré de ne pas pouvoir avoir suffisamment de contacts avec des congénères… Le chien qui grogne quand on veut lui faire un soin n’est pas en train de nous insulter. Il est juste en train de nous demander d’arrêter parce qu’il a peur, voire mal…
Nos réponses à ces comportements doivent donc prendre en compte l’action, mais aussi (voire surtout) l’émotion que vit le chien, pour régler le souci dans sa globalité. Ce sera l’objet de mes prochains articles, si certains ont encore le courage de me lire… 🙂
Article rédigé par le Dr Vétérinaire Hélène Lacroute et à retrouver sur DCoolVet
Sources :
- SELIGMAN,M.E.P. & MAIER, S.F. (1967) Failure to escape traumatic shock. Journal of Experimental Psychology, 74(1): 1-9.
- BOITANI, L. & al. (2007) In : The Behavioral Biology of dogs. CABI, Per Jensen, 153-154.
- MECH, D.L. (1999) Alpha status, dominance, and division of labor in wolf packs. Canadian Journal of Zoology, 77:1196-1203.