Le « non » en question…
Étrange comme tout article (quel qu’il soit) orienté-focalisé « positif », aussi banal et générique que soit son contenu, finit par être disséqué avec minutie pour en finir, presque inévitablement, à des notions folkloriques d’une immense candeur (néanmoins toujours teintées d’une ironie assez lourde).
Notamment, ce concept qu’un éducateur canin dont le travail se fonde sur la science du comportement (appelé, si vous voulez, « amical et positif » bien que, personnellement, je n’ai pas un goût immodéré pour cette joviale et très vague formule : je lui préfère l’expression américaine – « force free », que tout le monde comprendra aisément) n’a pas le droit et/ou est incapable de dire « non » à son chien.
… et là se profile, dans la tête du pauvre propriétaire de chien, l’image inquiétante d’un chaos absolu, d’une douloureuse future anarchie imposée par Youki qui ronge impunément vos escarpins chéris, vole la dinde sur la table et renverse la pauvre Tante Jeanne sous l’œil dépité de son humain tenu en otage par l’interdiction de l’éducateur de « dire non » au chien – impossible, impensable, ils sont fous ces gens là
Parlons-en de ce fameux « non » alors… Passons les pieds joints sur les notions de chef, de leader, de hiérarchie, de famille-meute (sinon on ne s’en sort plus) et focalisons-nous sur ce que nous voulons/voudrions obtenir par ce fameux non : stopper un comportement du chien (jusque là, on devrait tous être d’accord… ça ne va pas durer, rassurez-vous). Et, effectivement, qui peut se vanter de ne jamais l’avoir utilisé comme « mesure d’urgence », généralement crié (voir hurlé) à son chien… je plaide coupable.
Reste que, chez moi, le « non » n’a jamais la moindre notion éducative mais reste cantonné au cri angoissé face à une situation qui nous a échappé (hélas, nul n’est parfait et surtout pas moi). On est bien loin du compte de la litanie égrénée des « non » en cascade qui écorche un peu mes oreilles quand je travaille avec certains propriétaires.
En clair, il est un mode de fonctionnement purement « réactif » : le chien produit un mauvais comportement et nous crions « non ». Nous avons rendu le comportement inadéquat possible et, si nous sommes en colère, c’est souvent contre nous-mêmes. On n’osera pas appeler ça un mode d’éducation, j’espère? (scénario courant : la maman qui perd son gosse dans un grand magasin et qui, quand elle le retrouve, soulagée et heureuse… lui met une claque pour le « punir ». En réalité, bien évidemment, la claque sert à défouler l’énorme stress qu’elle a ressenti depuis la disparition de son petit, oubliant que le petit en question a très probablement eu peur, lui aussi).
Un éducateur « force free » travaille de manière pro-active (le contraire du réactif, justement). Il sait que le succès engendre le succès et la science du comportement lui a appris que, plus l’animal est mis en situation de « faire juste » et plus il fera juste, plus on rend la faute possible et plus le comportement inadéquat est mis en pratique, plus il s’installera confortablement.
Ensuite, ce fameux « non » est généralement complètement hermétique : si je cours joyeusement vers une amie et je l’embrasse et on me hurle « non » – c’est non quoi? Non, je ne devais pas courir? mon amie est contagieuse? je ne dois pas l’embrasser? que se passe-t-il? Quand le chien bondit sur un passant et que vous hurlez « non » à distance, le chien revient vers vous et vous le grondez… devait-il revenir? pas courir? pas revenir? Au final, le chien saura que vous êtes en colère, point à la ligne et n’aura strictement rien compris (souvent, il aura droit en prime à un petit sermon bien cassant de la part de son propriétaire auquel il pourra répondre soit par une parfaite indifférence soit par la crainte de ces réactions si imprévisibles).
Je donne parfois des cours d’initiation à l’agility vu que, à ce stade, nul besoin de posséder une profonde science du parcours d’agility (que je n’ai – mille fois hélas – pas) mais il s’agit de former une équipe entre un humain et un chien et de mettre en place une communication et des apprentissages (et ça, je sais faire)
Je vois beaucoup de mes élèves dire « non » à chaque fois que le chien se trompe… qu’il rate un piquet au slalom, qu’il prenne le saut à l’envers, le faux saut, s’enfile dans le faux tunnel : le propriétaire inexpérimenté lui assène un bon millier de « non » — bien secs — sur un quart d’heure de boulot effectif (étonnamment, ces chiens finissent par ne pas franchement adorer l’activité en question d’ailleurs). Si « sauter » c’est « non », entrer dans le tunnel c’est « non », se lancer sur le slalom pas encore tout à fait au point, encore « non » – je finis par comprendre le profond dépit du chien qui décide, de but en blanc, d’aller s’occuper de ce magnifique trou habité par une sympathique taupe
L’éducateur sait que, tant que votre chien s’amuse – et reste engagé dans le jeu – tout s’entraîne, se corrige, évolue. S’il se renferme et commence à rechigner à participer, rien n’est plus possible.
Le chien n’est pas têtu, désobéissant ni même « dominant » – le chien ne sait tout simplement PAS ce que vous attendez de lui…
Parce que, si ma coach d’agility me hurlait « non » à chaque erreur de conduite que je fais (et refais et refais et refais encore, je vous assure), je vais très rapidement ne plus avoir très envie de travailler avec elle, moi non plus (si elle me lit, qu’elle sache que, moi aussi, je fais au mieux de mes capacités)
Éduquer de manière proactive c’est :
(a) planifier (b) prévoir/anticiper (c) renforcer le bon comportement (d) apprendre au chien ce qu’il doit faire (versus ce qu’il ne doit PAS faire) (e) gérer l’environnement afin de rendre le « mauvais comportement » difficile voir impossible (ranger les escarpins, sécuriser la poubelle, ne pas laisser traîner la dinde).
Alors effectivement, il se peut que, voulant interrompre un comportement nous nous exclamions « Youki, noooon » mais arrêtons d’imaginer que nous éduquons. Nous assumons notre condition d’éducateur faillible. Si vous travaillez avec intelligence, et de manière proactive le restant du temps, votre chien pourra passer outre cette sporadique erreur et, vous aurez ensuite, immédiatement, tout loisir de récompenser l’interruption du comportement par une récompense.
Quand Tante Jeanne arrive, Youki saura se mettre « assis » (parce que vous aurez travaillé, au renforcement positif, ce comportement qui aura été mis sur signal) au lieu de lui bondir dessus (si Youki est encore en « formation », il n’ira tout simplement pas accueillir Tante Jeanne à la porte)
Si vous prononcez 50 « bon chien » par jour et un « non » très occasionnel – vous êtes un éducateur proactif – si c’est le contraire – votre stratégie éducative est à revoir de toute urgence.
et voilà, comment, nous les éducateurs « force free » nous ne travaillons pas en réaction à l’erreur mais œuvrons surtout et avant tout à rendre le succès infiniment plus probable (et donc comment nos chiens ne bousculent pas les vieilles dames, ne rongent pas nos chaussures et ne volent pas — toujours –nos dindes)… sans « non » (ou rarement) et sans punition
Rédigé par Cynthia Edelman-Rota de magic clicker